Le Système Law.

À la mort de Louis XIV, en 1715, les finances du royaume français sont au plus mal. 
La charge annuelle de remboursement de la dette atteint 165 millions de livres alors que les recettes fiscales ordinaires ne dépassent pas 69 millions de livres !
Dans les caisses, il ne reste que 800.000 livres de trésorerie.... 

L'Europe toute entière est depuis plusieurs années déjà en plein marasme économique.
C'est dans ces conditions qu'arrive à Paris un Écossais de 45 ans, dénommé John Law ...

Law :

Fils d'un orfèvre d'Édimbourg,  John Law  s'est acquis, à Londres, dans sa jeunesse, la réputation d'un dandy débauché.
Il est obligé de s'expatrier après avoir tué un adversaire en duel et été condamné à mort. 
Il court l'Europe et acquiert une fortune colossale en usant de ses dons exceptionnels en mathématiques dans la spéculation.

Les théories de Law:

En 1705, de retour en Écosse, il publie des Considérations sur le numéraire et le commerce.

Dans cet ouvrage d'économie en avance de deux siècles sur son temps, le financier montre que la prospérité d'un pays est liée à l'abondance de monnaie, vecteur d'échanges .
On peut y lire : «La monnaie est dans un État ce que le sang est au corps humain ; sans l'un, on ne saurait vivre, sans l'autre, on ne saurait agir. 
La circulation est nécessaire à l'un comme à l'autre».

Law suggère la créationà la place d'une monnaie en métal précieux ayant une valeur intrinsèque,une monnaie de papier (toujours imprimables)  indépendante des arrivages (toujours aléatoires)  de métaux précieux d'Amérique mais son idée est rejetée par ses compatriotes.

Le Régent et le trader

Établi à Paris où son habileté au jeu lui permet de faire la connaissance du Régent, Law convainc celui-ci qu'en substituant à l'or une monnaie de papier,il sera possible de relancer l'investissement des particuliers et surtout d'éteindre la dette de l'État (avec du papier et non de l'or ...).

Le 2 mai 1716, en dépit de l'hostilité de certains financiers , un édit autorise John Law à créer la Banque générale 
avec un capital de six millions de livres réparties en 1200 actions de 5000 livres.

Cette banque privée pratique de façon classique des opérations de change et d'escompte. 
Elle émet aussi des billets que le financier s'engage à rembourser en or et en argent à qui le souhaite à son taux nominal (fixe donc).
Cette garantie rend le papier préférable au métal (dont le cours varie en permanence). 
Cette garantie vaut à la Banque générale, avec le soutien actif du Régent, un vif succès.

Les promesses fabuleuses de la Louisiane...

Soucieux d'étendre ses activités, John Law rachète alors une compagnie chargée de la mise en valeur de la Louisiane, la Compagnie du Mississipi.

Il lui substitue une nouvelle compagnie, la Compagnie d'Occident, laquelle obtient en échange de monopoles , la charge de mettre en valeur la Louisiane puis, le Mississipi, la Nouvelle-France, les Indes et la Chine ! 
Rebaptisée Compagnie perpétuelle des Indes, elle fait très vite la fortune du port de Lorient.
On peut la visiter encore aujourd'hui juste en face de la base sous marine allemande de 1940 .

Vers la résorption de la dette publique.

La Banque générale obtient le privilège de percevoir les impôts indirects afin de s'assurer des recettes sans attendre les profits hypothétiques de la Louisiane et des autres comptoirs commerciaux. 
Par un édit du 4 décembre 1718, elle devient par ailleurs Banque royale et obtient la garantie de l'État. 

Mais John Law n'oublie pas la finalité première de son entreprise : résorber la dette publique de la France.

Résorption de la dette publique à court terme :
La Compagnie d'Occident émet donc des actions (fort intéressantes) de 500 livres qui peuvent être achetées à la Banque royale avec des titres de la dette publique à court terme de même valeur nominale (titres sous évalués au tiers de leur valeur ,car l'état ne sait plus payer les intérêts des titres  .
L'état échange donc très facillement des dettes qu'il a mais dont personne ne veut ,contre des actions représentant des richesses qu'il n'a pas encore ...
Dans la rue l'unité de dette de 500 livres qui ne vallait plus que 150 livres  ,remonte son cours à toute allure : la dette immédiate est résorbée .
Par contre une nouvelle dette plus tardive est du même coup générée .... 

Vu le succès des premières actions (les «mères»), Law lance de nouvelles émissions : les «filles» et les«petites-filles».
La dette immédiate se résorbe.
Les liquidités affluent à la Compagnie d'Occident . 

Résorption de la dette publique à long terme :
La Compagnie d'Occident prêtera au roi 1,2 milliard de livres au taux modeste de 3% (3 % par an  ,c'est "pas lourd",mais ils sont payés tandis que les intérêts précédement promis de 2.5 % par mois  n'étaient eux pas payés ...).

Du coup, les actions voient leur cours flamber et atteindre des niveaux sans rapport avec leur contrepartie concrète.
Achetées environ 150 livres en 1717 (cad le cours de la rue des anciennes dettes de 500 livres) , les «mères» s'échangent à 5000 livres en septembre 1719 et même 10.000 livres en janvier 1720.

Entraîné par l'engouement général, Law fait fonctionner la planche à billets pour répondre à la demande. 
La Banque royale a déjà émis à ce moment des billets pour un montant virtuel de 620 millions de livres ,soit dix fois les recettes fiscales de 1715...

Une bulle spéculative

Les investisseurs se précipitent rue Quincampoix, à Paris, dans le quartier des Halles, où la Banque royale a son siège, et s'arrachent les actions.

Il ne s'agit bientôt plus que de pure spéculation; les spéculateurs n'ont d'autre but que d'acheter les actions pour les revendre aussitôt en tablant sur la hausse continue de leur cours: c'est la "chaise musicale" : quand on sifflera la fin de partie,il faudra ne plus avoir d'actions en main ....

Law n'en reste pas là ; il introduit les «primes» : ces nouveaux instruments financiers donnent le droit d'acheter plus tard des actions au prix ferme et définitif de 10.000 livres (alors que leurs prix ne cessent de monter) , en échange d'un dépôt préalable de 1000 livres ("cash").

La spéculation quitte effectivement les actions,mais au bénéfice des promesses de ces mêmes actions :  les spéculateurs se jettent à qui mieux mieux sur les promesses d' actions à 10.000 livres pour les revendre contre dix fois plus (puisque ces actions ne font que grimper ...) !

Face à l'emballement, Law veut arrêter le mécanisme .
Il rachète toutes les actions au prix promis (mais pas au délà... il y a donc déjà de très gros perdants...) et en plus le payement ne se fera pas en or (qu'il n' a pas) mais en papier monnaie .
Il instaure donc  très officiellement la monnaie-papier, garantie par l'État et sans contrepartie métallique (or ou argent).


La revanche des financiers conventionnels.

C'est le moment où les ennemis de Law passent à l'attaque.
Ils  se présentent avec des charrettes dans la rue Quincampoix pour exiger la conversion en or de leurs billets de papier. 
C'est la panique,et le cours des billets s'effondre. 
C'est l'échec de la première introduction en France du papier-monnaie. 
Un échec toutefois relatif car John Law aura permis à l'économie française de redémarrer et aux finances du royaume de se rétablir après la fin de règne catastrophique de Louis XIV.